Pourquoi, comment choisit-on une devise ? Souvent on ne s’en souvient plus. A Saint-Charles c’est très récent. C’est le fait du prince. C’est une intuition que j’ai eue d’imposer cette locution latine qui risque donc d’être oubliée aussi vite qu’elle est venue. Voyons toutefois ce que nous pouvons en tirer.

A l’origine

Doctus cum interete, je retrouve mention de cette maxime chez Quintilien, le professeur de rhétorique bien connu sous Vepasien, dans son Institution oratoire (X, 1, 59) :

« Sed dum adsequimur illam firmamut dixifacilitatemoptimis adsuescendum est et multa magis quam multorum lectione formandamens et ducendus color. »

« Mais, tant que nous travaillons à acquérir cette facilité qui, comme je l’ai dit, soit sûre d’elle-même, c’est avec les meilleurs auteurs qu’il faut nous familiariser ; et ce n’est pas en lisant beaucoup de livres, mais en lisant beaucoup les bons, que nous parviendrons à former notre esprit et à colorer notre style. » (Traduction : M. Nisard, Paris, Dubochet, 1842)

Ainsi que chez Pline le jeune, l’un de ses célèbres élèves, dans une lettre à Fuscus (Lettres, VII, 9) :

Non enim dixi quae legenda arbitrarerquamquam dixicum dicerem quae scribendaTu memineris sui cuiusque generis auctoresdiligenter eligereAiunt enim multum legendum essenon multa.

« Je n’ai point encore dit ce qu’il fallait lire, quoique ce soit l’avoir assez dit, que d’avoir marqué ce qu’il fallait écrire. Souvenez-vous seulement de bien choisir les meilleurs livres dans chaque genre : car on a fort bien dit « qu’il fallait beaucoup lire, mais peu de livres« . (Traduction : De SACY – J. PIERROT et M. GABARET-DUPATY)

Comment traduire?

En anglais aussi concis que le latin on trouve, toujours sur internet : « Not many but much » et en français « non pas la quantité mais la qualité ».  Mais cela ne me convient pas exactement. C’est une traduction trop matérialiste presque mercantile. Nos deux auteurs latins montrent bien que notre maxime parle de formation de l’esprit. Il y a encore peu de temps on entendait pendant les cours marmonner nos élèves insolents : « ça me gave ! ». Au fond c’est peut-être cela : ne pas gaver mais donner seulement le meilleur.

Le contexte

« Quel malheur pour vous qui êtes repus maintenant, car vous aurez faim ! ». Cette anti-béatitude de saint Luc résonne douloureusement dans notre temps. C’est vrai que nous sommes gavés ; nos enfants aussi ; gavés de nourriture, de confort, d’écrans, d’informations, de loisirs, de jeux, d’ordinateurs, de tablettes, de téléphones portables… Comment retrouver le bien, le bon, l’essentiel dans tout cela ? Comment le dire à nos enfants ? Ils n’ont plus faim. « Μηδὲν ἄγαν », « rien de trop » disaient sagement les anciens.

Un souci esthétique

Dans ce contexte qui nous fait aspirer au vide nous devions revoir notre charte graphique. Ce qui nous identifie se devait d’être à la mode. Or ce sentiment de trop plein étant partagé, la mode, en ce qui concerne le « web design », est au minimalisme. Il nous fallait du « flat design », un design plat, entendez sans ombres. Cette mode rejoint une longue tradition depuis l’esthétique cistercienne  Un clair souci de simplicité si bien exprimée par le « less is more » et le provocant « Gott steckt im Detail (Dieu est dans les détails) » –  La formule familière d’un usage courant en allemand est : « Der Teufel steckt im Detail.(Le diable est dans les détail) » mais ce n’est peut-être pas si différent. – de l’architecte allemand du siècle dernier Mies Van der Rohe.

Un principe éducatif

En fait, j’ai découvert cette maxime dans « Humblement vôtre », un recueil d’articles du cardinal Albino Luciani écrit avant qu’il ne devienne le Pape Jean-Paul 1er. Ces articles sont des lettres imaginaires écrites à des personnages historiques célèbres. Celle qui m’intéresse s’adresse à Quintilien justement. Elle dit tout.  En voici un extrait :

« Je formule le souhait que quelque chose subsiste dans l’école de la culture humaniste et que vos meilleures maximes continuent à exercer leur influence sur les éducateurs. Il suffirait de celle-ci : Non multa, sed multum. C’est-à-dire : A l’école, pas trop de choses, mais profondément.

Don Bosco l’a reprise à sa façon, quand il a écrit : « Celui qui fait peu, mais ce qu’il doit, fait beaucoup ; celui qui fait beaucoup, mais pas ce qu’il doit, ne fait rien ». 

Conclusion

Voilà un texte assez baroque qui n’applique pas la maxime qu’il prétend expliquer. Atteindre la simplicité est une longue ascèse.

En illustration un tableau de Cy Twombly – Chicago. Roland Barthes lui a consacré un article :  Cy Twombly ou « Non multa sed multum”.

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